Esclavage : Encore du chemin. Les procès se suivent

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Dans une session organisée le mardi 7 Novembre 2023, la Cour spéciale chargée de juger les crimes d’esclavage de Néma a rendu trois verdicts dans des affaires où des mauritaniens étaient accusés de pratiques esclavagistes. Pour deux de ces dossiers (RP 022/93 et 022/94), le tribunal a décidé de les renvoyer pour complément d’informations. Pour le troisième (RP 015/33), qui avait déjà fait l’objet d’un jugement en 2015, la cour a accepté, dans la forme, l’opposition présentée par l’avocat de la défense mais condamné néanmoins l’accusé Itewel Oumrou ould Eyde à une peine de dix ans de prison dont sept fermes, assortie d’une amende de 200.000 MRU. Le tribunal a aussi émis un mandat d’arrêt à l’encontre de celui-là absent à l’audience. Selon maître Fall Abdel Aziz, avocat constitué par l’organisation SOS Esclaves en tant que partie civile :« C’est vraiment regrettable que les accusés ne soient jamais présentés devant les juridictions sous prétexte qu’ils sont introuvables, alors que je suis sûr qu’ils rôdent dans les parages et qu’aucun effort n’a été fait pour les retrouver ».

Il y a quelques mois à Nouadhibou, le tribunal spécial condamnait Bezeïd ould Hendey à dix ans de prison ferme et à verser une indemnisation de 750.000 MRU à Mohamed ould Laqdaf qu’il avait exploité pendant plus de vingt ans. Emprisonné, l’inculpé fut, quelques semaines plus tard, libéré « provisoirement » par la justice complaisante. Il court toujours… D’autres esclavagistes souvent sévèrement condamnés ont été purement et simplement relaxés, au point qu’effectivement « aucun prisonnier pour crimes contre l’esclavage n’est aujourd’hui incarcéré », comme aiment à le répéter les autorités nationales. Les anciens maîtres de Yarg et de son frère Saïd, ceux d’Aïchana mint Bilal et d’Oumoul Khaïr mint Yarbe, ceux de Rabi’a et de ses frères et sœurs, et encore ceux de nombreux autres esclaves ont été depuis fort longtemps libérés par la justice. C’est cette complaisance qui constitue le soubassement des traditionnels satisfécits formulés, à tort, à travers et à toutes les occasions, par les autorités mauritaniennes qui refusent de comprendre que le temps du déni n’est plus d’actualité.

Vers une nouvelle approche

Il est incontestable que la Mauritanie a entrepris, sur le plan judiciaire, des efforts importants pour éradiquer le phénomène abject de l’esclavage dont ont souffert et continuent à souffrir des populations citoyennes au sein de toutes les communautés nationales. La ratification des conventions, chartes et traités internationaux, la promulgation de la loi 031/2015 abrogeant et remplaçant la première loi 048/2007 constituent un arsenal juridique inédit pour lutter contre les pratiques esclavagistes. Mais il est tout aussi incontestable que l’application de ces dispositions qui devraient dissuader les esclavagistes manque cruellement.

Selon beaucoup d’activistes, le manque de réelle volonté politique nuit considérablement au traitement objectif des dossiers où, pour rester en phase avec la position officielle qui ne reconnaît que l’existence des séquelles de l’esclavage et ne veut aucunement entendre parler de ses pratiques, les magistrats usent et abusent de la requalification de faits pourtant parfois plus qu’éloquents. Une attitude continuellement soutenue par tous les systèmes, des indépendances à nos jours, et pour laquelle les institutions chargées de prendre en charge la problématique – CDHAHRASC, CNDH, Agence Taa’zour et autres – font des pieds et des mains, aux plans national et international, pour la faire accepter, traitant parfois leurs contradicteurs de traîtres à la nation et de marchands de la cause de l’esclavage.

Lors de sa visite en Mauritanie du 4 au 13 Mai 2022, monsieur Tomoya Obokata, rapporteur spécial des Nations Unies pour les nouvelles formes de l’esclavage, rencontra beaucoup de responsables des organisations actives pour s’entretenir sur la persistance de ces pratiques. Au cours de l’audience que lui accorda le président de la République Mohamed ould Cheikh Ghazwani, celui-ci déclara que les approches développées sur la question de l’esclavage n’étaient pas judicieuses ni désormais plus acceptable le déni de ce phénomène. Cette déclaration suscita un grand engouement chez les organisations de la Société civile qui s’activent dans la lutte contre celui-ci. Mais elles ont dû malheureusement très vite déchanter, au constat de l’absence d’actes concrets visant à reconnaître officiellement la reconnaissance de l’esclavage ; à instruire les juridictions de traiter convenablement les dossiers ; et aux institutions dédiées à la prise en charge des victimes de diriger effectivement leurs ressources vers celles-ci.

Le défi des indemnisations et des libertés provisoires

Beaucoup de défis se posent à la lutte pour éradiquer l’esclavage. En plus du déni systématique de ses pratiques et de l’inapplication de ses lois qui l’érigent en crime contre l’humanité, d’autres défis s’ajoutent à ce chemin hérissé d’embûches. Tout d’abord la fréquence des jugements par contumace des présumés esclavagistes qui écopent souvent de peines particulièrement sévères (20 ans de prison fermes et 5 à 10 millions MRO d’indemnisation), alors qu’en les très rares cas où ces accusés de crimes si abominables sont présents, ils écopent de peines allégées, parfois en-dessous même de ce que la loi prévoit.

Secondement, le défaut quasi-systématique de versement des indemnisations auxquelles devraient avoir droit les victimes, leurs anciens maîtres prétextant fréquemment être aussi pauvres que ces personnes qu’elles réduisaient en esclavage. Les droits de celles-ci se perdent ainsi, entre l’insouciance des juridictions qui ont prononcé le verdict et l’impunité dont bénéficient les anciens maîtres. Lors de sa rencontre avec le rapporteur spécial des Nations Unies, la délégation de SOS Esclaves lui souleva cette question de ces impayés et cela fit l’objet d’une recommandation dans le rapport final, proposant la constitution d’un Fonds d’indemnisation des victimes. SOS Esclaves adressa également une lettre au Premier ministre, lui demandant de donner des instructions pour le paiement de ces indemnisations à leurs ayants droit dont certains attendent depuis 2016.

Et de citer le cas d’Aïcha mint Hemedi, dite Boutta, dont les maîtres pourtant condamnés « font rentrer » les marchés hebdomadaires de tout le Hodhech-Chargui et suivent impunément leurs troupeaux, sans envie ni crainte. Dans sa réponse à SOS Esclaves, le Premier ministre promit d’intercéder en faveur des victimes pour qu’elles recouvrent leurs droits. Cinq mois après cette promesse, celles-ci attendent toujours, dans la précarité et le désespoir. Et, dernière embûche à l’éradication de l‘esclavage, la systématisation déjà évoquée tantôt de la mise en liberté provisoire, sans aucune autre forme de procès, des condamnés dont certains ont écopé de 5, 10 ou parfois 20 ans de prison ferme, juste quelques semaines – parfois même quelques jours ! – après le verdict de leur jugement. Une situation qui permet aux officiels mauritaniens d’aller raconter, lors des Examens Périodiques Universels (EPU) qu’aucun esclavagiste n’est emprisonné, sans avoir l’honnêteté d’expliquer pourquoi.

Désinformez, il en restera toujours quelque chose !

Bien que la vieille polémique sur l’existence des pratiques esclavagistes ou la persistance de ses séquelles soit dépassée, certains thuriféraires du système ne s‘en acharnent pas moins à tenter d’entretenir inutilement la confusion autour de ce crime abject. Les plus erronées informations sont ainsi distillées, parfois par de très hauts responsables d’institutions des droits humains. Mais jamais la Mauritanie n’a voulu entreprendre une enquête susceptible d’établir objectivement le nombre d’esclaves et celui de ses survivants. Elle aurait pourtant pu servir de base de données pour établir clairement les programmes et les politiques de réinsertion de réhabilitation et de réintégration économique et sociale de ces citoyens. Cela éviterait à des institutions comme Taa’zour l’improvisation et l’amateurisme dans la gestion des fonds substantiels que l’État destine à endiguer les disparités et lutter contre la grande précarité dont souffrent ces communautés. Rien ne sert de déclarer sans fondement des inepties. Officiellement, le nombre d’esclaves n’est pas connu. Par contre, celui des dossiers pendants devant les juridictions l’est bel et bien, tout comme celui des affaires déjà jugées. L’esclavage est à combattre par tous : les organisations de la Société civile et les institutions gouvernementales doivent collaborer à cette fin. La surenchère des uns ou la langue de bois des autres ne trompent plus personne ; ni à l’intérieur ni à l’extérieur.

El Kory Sneïba

Envoyé spécial à Néma

Source : http://www.lecalame.info/?q=node/15210

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