Manifeste des Haratine en  Français et Arabe

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Nouakchott le 29 Avril 2013

Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, la Mauritanie, pays multiethnique et multiculturel par excellence, demeure plus que jamais confrontée au défi de la mise en place d’un véritable contrat social, fondé sur l’appartenance commune à une Nation Unifiée. Toute l’histoire du pays témoigne d’une constante exclusion politique, économique et sociale de larges franges de la population et ce sur la base de leurs origines ou de leur statut social. Plus particulièrement, les Haratines, esclaves ou abid et anciens esclaves ou leurs descendants – composante principale et de plus en plus significative du peuple mauritanien – sont confrontés, davantage que n’importe quelle autre catégorie socio-ethnique, à l’injustice au quotidien, au manque de perspectives et de débouchés, sans compter les pratiques récurrentes de l’état mauritanien moderne, pour les maintenir dans la condition servile de citoyens de seconde zone. Sur le plan symbolique, la stigmatisation est absolue : le sort des haratines est à ce point si peu enviable qu’une partie de leur communauté éprouve de la honte à assumer son appartenance et son statut pour le revendiquer avec la fierté requise. Briser le cercle vicieux de cette condescendance teintée de dédain, ayant conduit à une mise à l’écart programmée, ne peut se concevoir que par une refondation de la république sur la base d’un réel partage du pouvoir et des ressources du pays entre l’ensemble de ses fils. Une telle option s’impose – plus que jamais – comme l’unique voie de salut pour mettre un terme à cette sempiternelle injustice, générée par une histoire séculaire mais, hélas, toujours inaltérée.

Dans la vie de tous les jours, la marginalisation des haratines est à la fois évidente et systématique. Elle se traduit aussi bien en termes de liberté individuelle et d’autonomie collective, qu’en déficits d’accès à l’éducation, aux services sociaux de base et encore plus aux richesses nationales ou au pouvoir politique. La condition générale de cette communauté demeure marquée par l’esclavage et ses séquelles : l’exclusion, l’ignorance et la pauvreté y prévalent dans l’indifférence totale des pouvoirs publics. De même, la survivance de l’esclavage traditionnel est restée une réalité massive dans la Mauritanie postcoloniale et le demeure encore aujourd’hui, en dépit des dénégations officielles et officieuses. Certes, il y a eu la loi d’abolition de 1981 qui est restée lettre morte et n’a eu aucun effet sur le vécu quotidien des Harratines. Par la suite, les différents régimes politiques du pays ont constamment adopté des attitudes ambiguës mêlant le déni, l’embarras et le laisser-faire avant qu’en 2007, le gouvernement mauritanien consente, de bien mauvaise grâce, et sous la pression du collectif des victimes, à adopter un cadre juridique de pénalisation qui, malgré ses nombreuses insuffisances, est tout de même théoriquement abolitionniste mais en pratique largement inappliqué. La mauvaise foi du dit gouvernement a été très vite mise en évidence par les nombreuses altercations et violences verbales qui ont émaillé toutes les réunions ayant rassemblé les organisations de la société civile avec la commission ministérielle chargée, pourtant, d’expliquer la dite loi. Parallèlement à ces timides avancées, de nouvelles formes d’exclusion et d’esclavage modernes ont vu le jour. Tant de Haratines sont enkystés dans des poches de misère : ils occupent des habitations de fortune, faites de bric-et-de-broc dans des enceintes disséminées au milieu des quartiers chics de Nouakchott où ils s’entassent les uns sur les autres dans la promiscuité la plus totale. Au sein des grandes cités, l’essentiel de cette communauté se concentre à la périphérie, dans les kebbas (bidonvilles) et les quartiers pauvres où ils constituent l’essentiel de la population. Pire encore est la situation de ceux qui restent à la campagne; la plupart d’entre eux vivent à portée de main de leurs anciens maîtres dans des ghettos (Adwabas) de brousse où règnent la pauvreté, le désœuvrement et l’ignorance et tant d’entre eux succombent à la délinquance quand ils quittent la campagne pour la ville. Sur le plan démographique, les haratines représentent plus ou moins 50% de la population du pays; ils continuent pourtant d’être, et de loin, la communauté la plus défavorisée politiquement, économiquement, culturellement et socialement.

Cette sujétion incomparable, avatar d’un asservissement multiséculaire, se perpétue par la volonté d’un système né de l’injustice et survivant de l’inégalité. Cette inégalité de naissance, normée par des us et coutumes surannées, s’est transformée en une inégalité des chances ou « malchance structurelle » par le truchement des régimes politiques successifs dont la plupart se sont évertués, insidieusement, à transposer et à reproduire la logique pyramidale de la tribu en lieu et place de la rationalité démocratique supposée de l’Etat moderne. En effet, des dizaines d’années durant, les armes de l’ignorance et la marginalisation économique ont été largement et abusivement utilisées contre cette communauté et leurs dégâts sont tels, qu’aujourd’hui, l’essentiel de ses membres sont réduits à être presque les seuls à occuper des emplois subalternes dans les activités urbaines et rurales. Les enfants Haratines, privés de scolarité et réduits à ramasser les ordures ou peupler les rues des villes et même des petits hameaux, constituent une preuve irréfutable du caractère profondément injuste et discriminatoire des pouvoirs publics qui continuent de cautionner, là où s’impose une rupture radicale, la pire des injustices : celle de l’inégalité des chances dans l’éducation des enfants. L’absence – très remarquée – des Haratines dans les filières d’emplois des secteurs publics et semi-publics est à mettre sur le compte des politiques délibérées d’un état, patrimoine exclusif de bandes de prévaricateurs communautairement très typés ; et de surcroît, continuellement assailli de demandes pressantes de l’alliance militaro – tribale dont il est la chasse gardée. La même approche semble avoir été, malheureusement, faite sienne par les représentations internationales en Mauritanie (PNUD, OMS, UNICEF, Union Européenne…etc.) qui ne recrutent presque jamais de cadres ou même de simples employés subalternes Haratines en leur sein. A cela s’ajoute le rôle négatif joué par le colonisateur dans la perpétuation du phénomène de l’esclavage et du maintien de l’ordre féodal établi… Toute tentative d’émancipation se trouve donc compromise d’office et bien lourdement par le sabotage délibéré de l’école publique et l’obstruction faite à toute opportunité de réussite économique qui constitue la clé de voûte de toute promotion sociale. Ainsi, patiemment, de pillages en détournements de deniers publics, de l’attribution des meilleurs lots du cadastre en milieu urbain en quasi monopole du foncier agraire ainsi que des licences de pêche ; et de contrats en prêts complaisants de banques et d’institutions étatiques, s’est constitué, en toute impunité et au profit quasi-exclusif des seuls anciens maîtres, un capital privé national, résultat du détournement de la fonction politico-administrative, et ce pendant un processus tri décennal. Dans le même temps, des agglomérations entières (adwabas et kebba) et des générations de centaines de milliers de Haratines sont maintenus hors du temps, dans le trou noir de l’ignorance et de l’iniquité. Un tel état de fait n’est pas le fruit du hasard mais découle bien des choix délibérés et conscients de la part des tenants successifs du pouvoir dont la plupart s’avéraient profondément incapables de saisir le sens même du projet de Nation ; en somme l’intérêt général, au point qu’ils ne semblent avoir comme ambitions pour ce pays que de sauvegarder la rigide règle de reproduction des privilèges d’un passé révolu. L’accumulation des frustrations a eu pour résultat la différenciation galopante dans le tissu social de ce qui était connu, jadis, sous le label de « MAURES », en deux entités de plus en plus distinctes (Bidhanes d’un côté et Haratines de l’autre); différenciation qui est à inscrire dans la logique de cette bombe à retardement qu’on appelle injustice et dont l’histoire nous enseigne qu’elle explose toujours à l’improviste et sans crier gare. Partant du constat de cette réalité exécrable, qui ne fait honneur à personne, le système militaro-féodal qui use et abuse de tous les moyens étatiques pour pérenniser une domination devenue impossible, est appelé à prendre conscience, aujourd’hui, que les victimes, jusqu’ici consentantes de l’état mauritanien moderne, sont parvenus au seuil de l’insupportable et en ont ras-le-bol de subir indéfiniment les affres d’un système irresponsable, sans foi ni loi. Nonobstant la centralité grandissante du débat sur cette question vitale pour le devenir de la Mauritanie et les acquis symboliques du mouvement national de lutte contre l’esclavage, les conditions de vie des Haratines continuent de connaître une dégradation sans précédent.

La pérennisation de cet état de fait sonnera inéluctablement le glas de l’ordre établi dont l’essence inégalitaire et l’impossible réforme conduiront inévitablement, à un moment ou un autre, à l’implosion sociale. L’objet du présent document est de faire un état des lieux de cette situation plus d’un demi-siècle après l’indépendance et d’oser des propositions pratiques pour corriger ce qui doit l’être dans les délais les plus rapides possibles sur la base des principes fondamentaux des droits de l’homme et du citoyen en vue de préserver la paix civile par le moyen unique de la justice. Les auteurs sont pleinement conscients de l’existence d’autres injustices qui frappent d’autres communautés et segments de notre peuple, notamment les pauvres, quelle que soit leur origine, les castes considérées « inférieures »- particulièrement la «caste des forgerons »-, certaines franges des communautés négro-mauritaniennes, les femmes…etc. Ils ne conçoivent le règlement définitif de la « question Haratine » que dans le cadre d’un effort global sur la voie de l’égalité, de la rationalité, de la fin de l’impunité et de l’abrogation des privilèges tribaux qui ne profitent qu’à une infime minorité, aux dépens des intérêts de la collectivité nationale et même tribale.

Ci-dessous, le manifeste PDF en Français et Arabe

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